Conférences L’approvisionnement gazier pour l’hiver 2022/2023 et les dispositifs d’urgence

Energie en lumière souhaite faire un état des lieux à travers cet article sur les risques en termes de sécurité d’approvisionnement pour le gaz cet hiver et les mesures prises et les dispositifs envisagés pour les maitriser.

 

Une anticipation de la problématique a permis une bonne préparation au risque

La France bénéficie traditionnellement d’une bonne sécurité de ses approvisionnements en gaz pour deux principales raisons :

  • Ils sont diversifiés : plusieurs gazoducs acheminent du gaz vers la France provenant de différents pays producteurs
  • La France dispose de 4 terminaux méthaniers lui permettant de recevoir par bateau des quantités importantes de gaz liquéfié provenant du monde entier.

Depuis le premier semestre 2022, le gouvernement français a entrepris de multiples actions pour se préparer à une rupture des approvisionnements en gaz.

Un plan de résilience a été élaboré et mis en œuvre, pour diversifier notre approvisionnement en gaz, augmenter nos stocks en amont de l’hiver et maîtriser notre consommation.

L’augmentation des importations d’autres pays producteurs de gaz, y compris par l’accroissement des approvisionnements en gaz naturel liquéfié (GNL), a permis à l’Europe et à la France d’opérer une large substitution et de constituer des stocks de gaz à des niveaux élevés – et même plus élevés que l’année passée. En France, aujourd’hui, les stockages souterrains, qui représentent environ un tiers de la consommation annuelle française, sont remplis à 100%.

De plus, avec l’appui des opérateurs gaziers, le fonctionnement des terminaux portuaires existants a été optimisé, et sont désormais utilisés à plein régime, et le projet d’installation d’un terminal méthanier flottant au Havre, à l’automne 2023, doit permettre d’augmenter encore nos capacités d’importations (gain additionnel attendu de l’ordre de 10% de la consommation française). Ces augmentations d’importations par les ports français bénéficient à la France mais aussi à l’ensemble des pays européens avec lesquels notre réseau est interconnecté.

Le gouvernement a également soutenu des actions de maitrise de la demande, notamment via l’augmentation des aides à la rénovation énergétique des logements pour inciter les ménages modestes à remplacer leur chaudière à gaz par une pompe à chaleur ou une chaudière biomasse et le soutien aux projets de décarbonation pour les entreprises.

Enfin, cet été, des groupes de travail sur la sobriété ont été lancés par la ministre de la transition énergétique pour faire émerger des bonnes pratiques de réduction des consommations, notamment dans les domaines de l’organisation du travail, des transports, pour les surfaces commerciales, le logement et, en premier lieu, pour l’État. Les conclusions de ces travaux ont fait l’objet d’une communication par la Première Ministre le 6 octobre 2022.

Contrairement à l’électricité, cette mobilisation et ses actions nous placent dans de bonnes conditions de préparation pour aborder l’hiver 2022-2023 pour le gaz. Néanmoins, la consommation d’énergie demeure très dépendante des conditions climatiques. En cas d’hiver particulièrement froid et sans ajustement suffisant de la demande, il existe ainsi des scénarii où nous pourrions connaître des difficultés pour couvrir l’ensemble des besoins, à la fois en cumulé sur l’hiver, et en pointe les jours de pic de froid particulièrement intense, ce qui pourrait entrainer un déséquilibre des réseaux gaziers et entraîner des conséquences très lourdes pour l’ensemble des consommateurs de gaz.

 

Présentation des dispositifs mobilisables en dernier recours

Si l’ensemble des mesures prises précédemment (stockages à pleine capacité, plan de sobriété, diversification des approvisionnements) ne sont pas suffisantes, d’autres mécanismes dits d’urgence peuvent être mobilisées. Ils seront notamment mobilisés en cas d’hiver rigoureux si la consommation de gaz pour les besoins du chauffage est élevée.

a. Mécanismes d’interruptibilité

Les mécanismes d’interruptibilité désignent des dispositifs qui, sur la base du volontariat, conduisent lorsqu’ils sont appliqués à demander à certains clients de diminuer leurs consommations de gaz.

Deux dispositifs d’interruptibilité sont principalement à connaître :

  • Le dispositif d’interruptibilité secondaire : En cas de tensions sur l’équilibre offre-demande, et sur demande des gestionnaires de réseaux, les clients de plus de 5 GWh/an signataires s’engagent à réduire leur consommation sous 24 heures. Ils bénéficient en contrepartie d’une réduction de leur assiette de modulation soumise à compensation stockage[1] qui concerne depuis 2021 tous les clients consommateurs. A titre d’exemple, au 1er avril 2021, 38 contrats d’interruptibilité secondaire ont été signés avec GRTgaz. Ils portent sur un volume total de capacité interruptible secondaire de 25,8 GWh/j.
  • Le dispositif d’interruptibilité garantie : bien qu’envisagé il y a quelques années, ce dispositif n’avait jamais été mis en œuvre en raison d’interrogation sur sa compatibilité avec le régime européen des aides d’Etat. La crise énergétique et des confirmations de l’Union européenne ont permis de l’envisager pour la première fois pour l’hiver 2022/2023.

Contrairement au dispositif d’interruptibilité secondaire, le dispositif d’interruptibilité garantie vise à sélectionner, à l’issue d’une procédure d’appel d’offres organisée par chacun des deux gestionnaires de réseaux de transport de gaz, des clients en fonction des objectifs de capacités interruptibles fixées par les pouvoirs publics. Seuls les clients consommant plus de 5 GWh/an peuvent participer à ce dispositif.

Pour l’hiver 2022/2023, les pouvoirs publics ont fixé l’objectif de contractualisation des capacités interruptibles à :

  • 144 000 mégawattheures par jour pour les contrats conclus par GRTgaz ;
  • 6 000 mégawattheures par jour pour les contrats conclus par Teréga.

Les clients sont rémunérés pour participer à ce dispositif. Ils perçoivent une part fixe – que le dispositif soit ou non activé – et une part variable en fonction de la durée d’activation et dont le montant dépend des offres reçues dans le cadre de la procédure de mise en concurrence.

L’ordre d’activation de l’interruption est émis par les gestionnaires de réseaux de transport de gaz et relayés par les gestionnaires de réseaux de distribution de gaz.

 

b. Mécanisme de répartition

Les pouvoirs publics ont communiqué récemment sur des réflexions en cours concernant un mécanisme de répartition de la consommation de gaz. Il s’agira ici de contraindre certains clients à réduire leur consommation à hauteur d’un certain pourcentage par rapport à leur consommation moyenne. S’ils dépassent ce plafond de consommation, ils s’exposeront à une pénalité financière dissuasive.

Ce dispositif devrait donc viser un périmètre de clients plus large que pour le délestage avec une durée d’application allongée sur plusieurs mois pendant la période froide.

Les modalités de ce dispositif encore en réflexion n’ont pas été rendues publiques et des arbitrages sur son principe même sont encore attendues.

 

c. Dispositif de délestage

En tout dernier recours, afin d’éviter l’effondrement du système gazier, il sera procédé à des délestages, c’est-à-dire à un arrêt non consenti et organisé des consommations de gaz pour certains consommateurs. Il s’agit donc de réduire, de manière imposée, la consommation des plus gros consommateurs de gaz afin de soulager le système en cas de trop fortes tensions.

Plus précisément, ce mécanisme vise à imposer aux clients les plus consommateurs de réduire ou d’interrompre leur consommation, de quelques heures à quelques jours en fonction des besoins, pour rééquilibrer l’offre et la demande.

A la différence du dispositif de répartition, le mécanisme du délestage vise un nombre réduit de clients pour lesquels il est demandé de baisser drastiquement leur consommation de gaz pour une durée normalement courte.

Ce dispositif vise tous les clients qui consomment plus de 5 GWh/an, soit de très gros consommateurs représentant environ 5000 clients en France. Ce dispositif sert à préserver le plus longtemps possible la consommation des particuliers.

Après une enquête annuelle organisée par les gestionnaires de réseau de gaz, les préfectures classent ces 5000 clients en quatre catégories, des clients premièrement mobilisables aux clients à mobiliser en dernier :

  • Les centrales de production d’électricité à partir de gaz (après avoir vérifié qu’une telle coupure ne met pas en tension le système électrique).
  • Les consommateurs pouvant réduire leur consommation sans conséquence économique.
  • Les consommateurs subissant des conséquences économiques majeures s’ils sont délestés (endommagement ou destruction de l’outil de production, difficultés importantes de redémarrage, etc.).
  • Les consommateurs reconnus comme assurant une mission d’intérêt général.

En cas d’activation du délestage décidée par les gestionnaires du réseau de transport de gaz, les sites concernés sont sollicités par les gestionnaires de réseaux pour diminuer partiellement ou en totalité et jusqu’à nouvel ordre leur consommation sous un délai de deux heures. Les gestionnaires de réseaux vérifieront l’application de l’ordre de délestage, c’est-à-dire si le client arrête bien de consommer. Les gestionnaires de réseaux de gaz transmettront aux pouvoirs publics la liste des clients n’ayant pas obtempéré ou respecté la baisse de consommation prescrite. Ces clients s’exposeront à des amendes.

 

[1] Depuis le 1er avril 2018, les gestionnaires des stockages souterrains français sont régulés, c’est-à-dire que le niveau de leurs revenus est décidé par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Ces revenus proviennent en partie de la vente aux enchères des capacités de stockage, en partie d’un terme spécifique des tarifs d’acheminement sur les réseaux de transport (tarifs ATRT) dit « compensation stockage ». La compensation stockage est répercutée par les expéditeurs transport aux fournisseurs de gaz et par les fournisseurs de gaz à leurs clients.